Jean-Yves BERT: La forêt | ||
La forêt, je l'ai toujours connue mythique, très jeune j'y jouai dans mes rêves sans pouvoir y aller. Un jour, sautant du balcon |
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je
descendis quelques marches et hop, me voilà le pied posé sur les
aiguilles sèches ...
Mon regard s'accrocha à l'écorce d'un grand pin, je remontai jusqu'à sa tête et tout étonné je vis qu'il portait la lumière entre ses branches. Elle reste là accrochée tout le jour et quand il se secoue au fil des heures il en tombe par terre. Cette clarté tourne autour de lui, l'habille d'un voile et le parfume de grains multicolores. |
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Je
sais qu'il adore cela ; c'est un pin toujours à la mode ; de grands
couturiers viennent de Paris à chaque saison ; il aime se comparer à
ceux de la via Appia et du Péloponnèse. Les soirs d'été en
particulier après avoir repoussé le soleil loin derrière les collines,
il s'habille de pourpre et d'or ; il aime bien les violets profonds, les
roses d'Afrique et tous ces cadmiums.
Ses conversations avec le vent l'agitent beaucoup, il souffre et bouge tant qu'il peut. Un vieux désaccord doit les séparer ; |
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Bien
évidemment les deux veulent avoir raison. Parfois le vent s'en va tout
doucement mais il arrive que sa violence soit telle qu'il couche un pin.
Je n'ai jamais réussi à connaître le motif de cette mésentente, les
deux restent discrets, surtout quand le feu court sur la colline. Après
de multiples alertes, un jour de canicule, il vint de l'horizon, les
flammes poussées par le vent dévoraient tout ; un par un ils périrent,
ils étaient devenus fusion.
Cette lumière qui m'avait fait rêver laissait passer la mort entre les branches. La colline crépitait de toute part ; volcan sur azur, ocre sur fond nègre, fumée âcre, étouffante torpeur ; monde sans agir, sans espace, mort ... mort ... mort ... |
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Le
vent avançait par rafales, les têtes tombaient, les flammes sautaient de
troncs à branches, couraient sur le sol, s'infiltraient dans les
sous-bois et les broussailles pour retrouver plus loin quelle autre
victime.
La colline brûla plusieurs jours, les hommes impuissants attendaient ; la nature avait ses lois. Sur cette terre perdue, sans âme, rodait encore le vent ; gris et noirs se mêlaient à la croûte éclatée du sol: dépouilles de troncs, écorces fumantes, rougeoiement de braises ... De mes rêves, de mes joies, de mes conversations avec la forêt, il ne resta qu'un monde désolé, une ébauche, quelques rares traces, des griffures sur le sol. La terre avait perdu toute verticalité, toute référence, elle n'était qu'un tapis de cendres et de pierres noircies. Fallait-il espérer et penser que mon rêve n'était que cauchemar, qu'un jour un pin viendrait, à la fois différent et le même, habiter cet espace désolé et à nouveau porter la lumière, écouter la caresse du vent, le grand souffle des soirs de septembre et voir perler l'humidité d'un nouveau printemps. De toutes mes forces j'attendais ce retour, je les voyais presque, je les recréait du regard, et pourtant rien ne vint ; de ma palette disparut le fusain pour la calligraphie, les verts d'indocyanine, les "Véronèse" qui craquèlent, les outremer étincelants et tous ces bleus pour l'horizon. Un jour, pourtant sur ces collines brunes et désolées, le vent sembla jouer avec le soleil du petit matin et caresser quelque vert tendre ... |
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J.Y.Bert |